Les parties du corps d’hippopotames peuvent toujours être légalement commercialisées en vertu de la Convention sur le commerce international des espèces menacées d’extinction (CITES), bien que la plupart des pays n’offrent des permis que pour l’ivoire d’hippopotame acquis à partir de carcasses. C’est l’une des raisons probable de la poursuite du commerce clandestin, car les trafiquants demandent des permis sous prétexte d’avoir acquis les défenses des carcasses.
Entre 2002 et 2022, plus de 84 000 dents d’hippopotame et 2 500 peaux d’hippopotame ont été exportées d’Ouganda, selon la base de données sur le commerce CITES . De son côté un rapport de TRAFFIC indique que l’Ouganda était le premier pays à exporter des produits d’hippopotame, contribuant à 40% du commerce mondial entre 2009 et 2018.
Entre 2009 et 2018, l’Union européenne (UE) était l’un des plus gros importateurs d’ivoire d’hippopotame, principalement en Allemagne, en Espagne, en France, en Autriche et au Danemark, selon le rapport TRAFFIC .
Les données obtenues de la CITES montrent qu’entre 2002 et 2022, Hong Kong a déclaré avoir importé près de 90 % de l’ivoire d’hippopotame en provenance de l’Ouganda. Il s’agit d’environ 75 000 dents.
Les sculptures de dents d’hippopotame sont plus prisées en Asie parce qu’elles sont généralement moins chères que l’ivoire d’éléphant.
L’Ouganda est historiquement connu comme une plaque tournante du commerce de la faune et de ses produits en Afrique de l’Est, selon la Wildlife Conservation Society, en raison de la porosité des frontières du pays, des sanctions légères et de la capacité limitée à lutter contre la criminalité liée aux espèces sauvages. Cependant, le pays déploie des efforts considérables en matière d’application de la loi. Pour preuve, en octobre 2022, le tribunal ougandais des normes, des services publics et de la faune a condamné à la perpétuité un dénommé Pascal Ochiba pour possession illégale de produits de la faune.
Entre 2018 et 2021, InfoNile et Oxpeckers Investigative Environmental Journalism ont suivi 28 cas de crimes contre les espèces sauvages en Ouganda. Il s’agit des cas de braconnage illégal de viande ou de dents d’hippopotame, et qui sont accessible sur la carte # WildEye Eastern Africa . La plupart des braconniers impliqués ont été arrêtés dans l’ouest et le nord de l’Ouganda.
Alors que la plupart des affaires étaient toujours devant les tribunaux ou les verdicts étaient tombés, les peines infligées allaient d’amendes allant de 500 000 à 3 millions de shillings ougandais (environ 130 $ à 800 $ US) ou entre 16 mois à 5 ans de prison ferme.
La nouvelle loi ougandaise de 2019 sur la faune a remplacé celle de 1996, qui, selon les écologistes, était faible car elle fixait une peine de prison maximale de seulement sept ans pour le braconnage et le trafic d’espèces sauvages. Désormais, les condamnés risquent une amende maximale de 20 milliards de shillings ougandais (5,4 millions de dollars américains) et une peine d’emprisonnement à perpétuité, ou les deux pour braconnage. De nombreux défenseurs de l’environnement considèrent la nouvelle loi comme un pas en avant pour conserver les espèces menacées en imposant des sanctions plus sévères afin de décourager le braconnage et le trafic de produits fauniques.
En RDC, la loi classe l’hippopotame parmi les espèces totalement protégées. Concernant le trafic, l’Institut congolais pour la conservation de la nature a formé à plusieurs reprises des agents de services de la migration et des douanes pour lutter contre la contrebande transfrontalière. En mars 2023, 30 rangers du Parc national des Virunga ont prêté serment devant le procureur de la République comme officiers de police judiciaire, ce qui leur donne le pouvoir d’enquêter sur les affaires relatives au trafic d’espèces sauvages, notamment d’hippopotames.
Itinéraires de trafic
Dans notre enquête, nous avons découvert un passage qui sert de corridor écologique entre le parc national des Virunga, à l’est de la RDC et le parc national Queen Elizabeth, à l’ouest de l’Ouganda. Ce corridor, communément appelé Kibumu , est situé entre la cité congolaise de Kasindi-Lubiriha et la pêcherie illégale de Kasindi-port. Ce couloir est devenu une piste poreuse utilisée par les trafiquants d’ivoire qui l’empruntent pour accéder à la pêcherie de Kayanja du côté ougandais.
« Les braconniers et autres trafiquant s’en servent sans passer par les grandes agglomérations ou les postes frontaliers pour éviter de se faire prendre par les services douaniers », a témoigné sous anonymat un ancien garde de parc.
Il a ajouté que les trafiquants l’utilisent de jour comme de nuit. Une fois à Kayanja, en Ouganda, les trafiquants congolais contactent ensuite leurs homologues ougandais qui maîtrisent la géographie ougandaise pour terminer le travail. Deux autres routes empruntées par les trafiquants d’ivoire sont Kamukumbi et Kabiriti, toujours situées entre la cité de Lubiriha et la pêcherie illégale du de Kasindi-port. Ces deux pistes mènent à Nyavugando dans la région de Bwera en Ouganda.
Pour atteindre Kampala, la capitale ougandaise, l’ivoire est enfoui dans des paniers de poisson frais dont les transporteurs jouissent d’une certaine faveur car censés transporter des denrées périssables. Ils ne sont pas contrôlés par les autorités à la frontière. Bien qu’aucune loi n’exempte les denrées périssables du contrôle, les autorités frontalières considèrent que les poissons peuvent pourrir s’ils retiennent le transporteur pendant une longue période. De l’Ouganda, l’ivoire est trafiqué vers la côte où il est transporté vers l’Asie par voie maritime.
Pour tenter de contrôler ces pistes poreuses, les gardes du parc de l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN) ont mis en place un poste de patrouille permanent à Vimbao dans la même zone. Cependant, le trafic continue.
Du côté ougandais, Bashir Hangi, responsable des communications de L’autorité de la faune de l’Ouganda, dit qu’ils ont institué des points de contrôle à l’aéroport international d’Entebbe et sur les principaux sites d’accostage sur le lac Édouard, le lac Albert et le lac Victoria, mais plusieurs autres points frontaliers poreux ont permis au commerce illégal de continuer.
Carte montrant la répartition des hippopotames en Afrique et rapport de situation de l’UICN (2018)
Soutenir les communautés pour atténuer le braconnage et le trafic d’ivoire
Selon Charles (nom d’emprunt) un ancien braconnier installé Kyavinyonge dans le parc national des Virunga en RDC, le manque de projets bénéficiant aux communautés voisines des aires protégées est l’un des facteurs conduisant au braconnage.
Charles a cessé de braconner après que les rangers ont arrêté, tué et blessé certains de ses camarades braconniers. Depuis, il croit que l’implication de la communauté est la clé de la conservation.
« J’ai personnellement tué un hippopotame ainsi que quelques autres animaux dans ce parc des Virunga », a-t-il révélé. « Sans travail, je trouvais incroyable qu’on m’interdise de chasser dans le parc mon seul moyen de gagner de l’argent rapidement.”
Quand les responsables du parc recrutent des ouvriers, ils font venir des gens d’ailleurs, c’est ce qui pousse beaucoup à détruire la faune et à envahir les aires protégées », a-t-il justifié.
Bashir Hangi, porte-parole de l’autorité de la faune de l’Ouganda, recommande l’implication des membres de la communauté à proximité des aires protégées dans la conservation. « Les conservateurs et les rangers ne peuvent pas être partout. Nous avons besoin du soutien de la communauté locale pour protéger ces hippopotames. L’avantage de la conservation appartient à nous tous. Impliquons tout le monde dans la protection des hippopotames déjà en voie de disparition », a déclaré Hangi.
De son côté, le chercheur en conservation Deo Kujirakwinja plaide pour l’instauration d’un programme de conservation intégré comprenant des projets de développement, des programmes de subsistance et des programmes de partage des revenus.
Avec le soutien du WWF, des projets de subsistance de l’UWA (Autorité de la faune de l’Ouganda) ont été lancés pour fournir des sources alternatives de nourriture et de subsistance à divers groupes communautaires vivant à proximité des parcs nationaux, ce qui les a aidés à sortir du braconnage. Il s’agit notamment de soutenir des projets d’apiculture, de rucher et de pisciculture.
En 2021, cité par l’équipe de presse du WWF , James Okware conservateur principal du Rwenzori Mountains dans l’ouest de l’Ouganda, a révélé que l’UWA a signé un protocole d’accord avec des communautés locales, y compris des groupes d’anciens braconniers, pour promouvoir « l’accès légal et réglementé ainsi que l’utilisation des ressources du parc.
Le gouvernement congolais et les pays voisins que sont l’Ouganda, le Rwanda et le Soudan du Sud devraient également mettre en place des mécanismes juridiques communs et de surveillance des frontières pour lutter contre le braconnage et le trafic d’hippopotames , selon Claude Sengenya, journaliste environnemental basé à Butembo (RDC).
« Les États de la sous-région doivent envisager une révolution technologique en implantant des dispositifs de suivi électronique sur les hippopotames pour permettre aux gardes du parc ou aux rangers de suivre les mouvements de ces grands mammifères », a déclaré Sengenya.
En Ouganda, Abdulatwaib Asiku, responsable du district de Yumbe qui borde le Soudan du Sud, appelle à l’établissement de plus de postes frontaliers et douaniers dans la région du Nil occidental pour réduire le trafic d’animaux sauvages dans cette zone frontalière.
« Nous devons aussi avoir plus de points de douane à Busia, entre Maracha et la RD Congo, entre Koboko et la RD Congo, entre autres, pour réduire la porosité de notre frontière », a recommandé Asiku.
Pour sa part Steen Omito, responsable du district de Pakwach, au nord du lac Albert, a déclaré que les pays d’Afrique de l’Est devraient établir une stratégie de réponse commune pour lutter contre le braconnage.
« Nous avons besoin d’un groupe de travail conjoint sur la conservation, où tous les pays d’Afrique de l’Est ont des représentants et contribuent conjointement aux ressources pour mener les opérations », a noté Omito.
Cet article a été produit en partenariat avec InfoNile avec le financement de la JRS Biodiversity Foundation. Annika McGinnis, Primrose Natukunda et Jonathan Kabugo y ont contribué.