Par Arthur Bizimana et Ferdinand Mbonihankuye
Infrastructures en ruine— d’autres en état de délabrement, seuls les restes retracent le barrage hydro-agricole Gikoma conçu au départ pour la culture du riz à Bujumbura Mairie, à l’ouest du Burundi.
Les portes de régulation de l’eau du canal sont fermées. Aucune goutte d’eau n’y passe. Les herbes ont poussé aux bords du canal. Dans le périmètre Buhinyuza où sont plantés les champs rizicoles, le canal est bouché de toutes sortes de déchets.
Ça montre que Gikoma s’est effondré, il y a pas mal d’années. Environ 3 ans, nous révèle Moïse Ndayizeye, un habitant de cette localité.
Au bord de ces canaux, les bâtiments fourmillent de tout côté. De toute évidence, même au cas où le gouvernement burundais voudrait réhabiliter ce canal pour irriguer le périmètre de Buhinyuza, les travaux de réhabilitation ne seraient pas faciles.
Pour irriguer provisoirement ce périmètre, Société Régionale de Développement de l’Imbo (SRDI) qui gère et développe la culture du riz dans la plaine de l’Imbo a joint Buhinyuza à kabuye par un canal partageant ainsi les eaux du périmètre Kabuye avec celui de Buhinyuza.
Néanmoins, l’eau reste insuffisante dans le périmètre Buhinyuza, d’après les dires de Moïse Ndayizeye.
Dans ce pays d’Afrique centrale, le riz constitue 47% des cultures dans les marécages irrigués par les barrages hydro-agricoles.
De 2020 à 2021, nombre de barrages se sont effondrés provoquant la flambée des prix et l’importation du riz dans les pays voisins laissant au passage le riz beaucoup moins abordable, ce qui a entraîné l’insécurité alimentaire.
D’après les experts en irrigation, Ces barrages sont démolis aussi bien par l’érosion des pentes très versant sur les collines que par l’entretien insuffisant des bénéficiaires du barrage.
“Nous ne produisons le riz qu’une seule fois par an. Avant l’effondrement du barrage Gikoma, nous produisions du riz deux fois par an, apprend-on par Joséphine Rwabavuyeko, rizicultrice. Avant d’ajouter : « Si par malchance, la pluie est irrégulière ou se raréfie, la production du riz ira mal en point. »
Les producteurs se sont tournés vers les cultures vivrières comme les patates douces, les maïs, les arachides, les haricots et parfois le soja qui ne sont pas très exigeantes en quantités d’eau.
A l’époque de l’irrigation du périmètre Buhinyuza par le barrage hydroagricole Gikoma, l’eau était suffisante dans les champs rizicoles. La production était tellement bonne à tel point que personne ne se lamentait.
Ce canal qui canalise de l’eau depuis Kabuye vers Buhinyuza continue de se défaire, car il passe par le pont Kabuye, ce qui l’expose à l’effondrement. Depuis sa construction en 2021, les pluies torrentielles l’ont abattu trois fois.
Dans le périmètre Kabuye, ils moissonnent encore deux fois, précise Joséphine. L’approvisionnement en eau y est encore suffisant au moment où dans le périmètre Buhinyuza, pour cultiver les cultures vivrières à la deuxième saison, ils jouent les malins. Ils passent la nuit blanche, car SRDI aime envoyer de l’eau une fois par semaine et pendant la nuit.
En revanche, chacun fait tout son possible pour faire contourner de l’eau dans ses plantations.
“Pour nous qui sommes à la tête du périmètre, la pluie vient en complément. Malheur à ceux qui sont à la queue du périmètre à Kinyankonge. Ils ne sont souvent pas atteints par l’eau” conclut Joséphine.
Les barrages hydroagricoles se sont effondrés en nombre. Parmi les barrages hydroagricoles de grande envergure qui se sont effondrés récemment et dont les effets ont touché tous les burundais figure le barrage hydroagricole Gatura géré par SRD Imbo.
Ce barrage hydroagricole qui irrigue plus de 3000 hectares s’est effondré en Mars 2021.
“Gatura s’est effondré suite à la pluie torrentielle, mais aussi à sa vétusté”, articule Félix Habonimana, directeur de SRD Imbo . C’était en pleine saison culturale.
“Le barrage Gatura est le poumon du pays, c’est le barrage principal », a martelé Félix. Ce barrage s’est effondré au moment où on en avait besoin le plus. On était pendant la période de sarclage.
En collaboration avec les riziculteurs, SRDI a eu recours aux techniques d’irrigations locales et traditionnelles : « Pour faire face à cette crise, SRDI a barré de l’eau vers les rizières jusqu’au mois de Juin »poursuit le Directeur du SRDI.
Même si l’on accuse Gatura de vétusté, d’autres barrages hydroagricoles récents se sont effondrés comme celui de Mubarazi, situé dans les marais Muremera II. Ce barrage alimente deux périmètres dont Mubarazi et Kaniga respectivement des communes Rutegama et Mbuye, toutes de la province Muramvya.
Construit par l’entreprise SOGEA SATOM sous le financement de l’ONG PRODEFI qui met en exécution les projets de FIDA et réceptionné provisoirement par l’Etat en 2020, le barrage hydroagricole Mubarazi irrigue 170 ha, nous explique Ezéchiel Nyambikiye, moniteur agricole de la colline Muremera II.
Avant que le barrage hydroagricole Mubarazi ne soit réceptionné définitivement, il s’est déjà effondré à deux reprises, l’une en 2021 et l’autre en 2022 au mois d’Avril. Deux ans successifs.
Mais, heureusement, presque tous les champs rizicoles avaient atteint le stade de la récolte. Cet effondrement n’a pas beaucoup touché les producteurs.
“Pour quelques producteurs qui n’avaient pas encore atteint ce stade, nous lâchons une quantité d’eau minimale pour que Mubarazi ne s’effondre pas en entièreté. Car il est à l’agonie, a ensuite ajouté Mr Ezéchiel.
Pour vérifier si la production est bonne ou mauvaise cette année, nous nous sommes rendus dans le périmètre irrigué par le barrage hydroagricole Mubarazi, dans le marais de Gisene, accompagnés par le moniteur agricole, dans les champs rizicoles où il y avait encore bon nombre de producteurs qui récoltent le riz parmi lesquels Zépherin Hategekimana.
La culture du riz en province Muramvya est prisée pour une raison: « elle est perçue comme une nouvelle culture pour les agriculteurs. » fait savoir Zéphirin.
La construction du barrage hydroagricole Mubarazi avait amélioré les conditions de vie des riziculteurs : « Ils ne comptaient plus sur les conditions météorologiques naturelles pour cultiver» déroule le moniteur
Malgré l’amenagement aujourd’hui du barrage hydroagricole, les producteurs ne pratiquent qu’une saison rizicole et font la rotation des cultures.
L’avantage de l’aménagement de Mubarazi, c’est que tout le périmètre est atteint par l’eau, ce qui n’était pas le cas avant sa construction.
C’est aussi pratiquer la monoculture : « Avant la construction du barrage, chacun semait les semences tous venants et pratiquait la polyculture en l’occurrence le mélange des haricots, des maïs, etc. dans un seul champ.
Néanmoins, depuis la saison culturale passée où le barrage hydroagricole était en activité, ils pratiquent la monoculture et sèment des semences de qualité que ce soit le riz ou le maïs.
“Et la production s’est nettement améliorée. » nous révèle Zéphirin, cet exploitant de Muramvya faisant référence aux maïs de couleur jaune dont les semences de qualité sont distribués par One Acre Fund-Tubura et dont la production a beaucoup augmenté.
Le moniteur agricole et le producteur s’accordent à interpeller l’Etat et les bailleurs à réhabiliter le barrage hydroagricole Mubarazi. Dans le cas contraire, la production agricole de la saison culturale C et d’autres qui suivront sera mauvaise
Le Moniteur agricole nous a fait savoir que l’administration est au courant de l’effondrement du barrage hydroagricole Mubarazi : « Ils se sont rendus à ce barrage à maintes reprises. »
Beaucoup de barrages hydroagricoles se sont effondrés ces dernières années. Certains méritent d’être réaménagés et d’autres réhabilités. Parmi ceux qui méritent d’être réhabilités, il y a le barrage Gikoma, Kajeke, Nyengwe et Mubarazi. Tandis qu’il y a ceux qui méritent d’être réhabilités, il y a ceux qui se sont complètement endommagés et qui nécessitent d’être réaménagés à l’image de Rukoziri.
Depuis 2017, nombre de barrages ont été construits à travers tout le pays. Le conseiller au ministère de l’environnement, de l’agriculture et de l’élevage recense quatre barrages dont Kinyinya, Mubarazi, Ruvubu et Rumpungwe. Au total, plus de 2000 hectares ont été aménagés, indique-t-il.
Le bassin du Nil au Burundi irrigué, occupe seulement 3,2% de la superficie irriguée au moment où le bassin du Congo s’accapare du reste. Il faut noter que le Burundi appartient à deux bassins dont le Nil et le Congo.
Citant FAO (2016), le rapport de l’initiative du bassin du Nil intitulé « Baseline Data and Description Report »publié en Avril 2020 démontre que le riz constitue 47% des cultures cultivées dans les marécages, ce qui veut dire que le riz est beaucoup prisé.
International Rice Research Institute basé à l’université du Burundi démontre que les rizières occupent 50 000ha.
Le riz est un grand consommateur de l’eau. Dans le périmètre irrigué par le barrage hydraulique, les riziculteurs paient les redevances hydrauliques.
Pierre Sindayikengera, spécialiste en irrigation et conseiller au Ministère de l’environnement, de l’agriculture et de l’élevage explique que les redevances hydrauliques contribuent à l’entretien des barrages hydroagricoles pour qu’ils ne soient pas bouchés.
Il reconnaît qu’au Burundi, il n’y a aucune institution décentralisée pour collecter les redevances hydrauliques:”Chaque périmètre irrigué est géré par un comité choisi et mis en place par les producteurs usagers de ce barrage hydroagricole.”dit-il
“La seule société où les redevances hydrauliques sont connues au niveau ministérielle, c’est le SRDI”, fait savoir le Directeur du SRDI avant d’ajouter que les redevances hydrauliques dans la plaine de l’Imbo coûtent 300 Kg de riz par hectare, soit 3 Kg de riz par are à chaque saison”.
Il souligne que les redevances hydrauliques diminuent en fonction de la localisation des superficies des coopératives.
Dans les pays qui partagent le bassin du Nil, le Burundi fait partie des pays où la valeur de l’eau dans les champs irrigués est élevée, lit-on dans le rapport « Economic value of water for irrigation in the Nile Basin. »
L’effondrement des barrages hydroagricoles a eu un grand impact sur la production, les travailleurs saisonniers et les producteurs. Il a également été à l’origine de la hausse des prix et de l’importation de la quantité du riz en 2021.
Comme le confirme le Directeur du SRDI, les producteurs du riz n’ont pas cultivé pendant la saison A (Agatasi), car le barrage hydroagricole Gatura qui irriguait une grande partie du périmètre de l’Imbo s’est effondré et l’eau était insuffisante. Ce qui a provoqué la diminution de la production du riz.
Avant l’effondrement de Gatura, nous récoltons 6 tonnes par hectares, soit 30 000 tonnes sur 5000 hectares gérés par SRD Imbo, mais après son effondrement, Félix ranconte que SRD Imbo a perdu 18 000 tonnes de production de riz.
Cet effondrement a également provoqué le chômage et la pauvreté parmi les cultivateurs et les travailleurs saisonniers.
Selon Manirambona Abraham, producteur du riz, il y a des cultivateurs qui sont tombés en faillite : « Par exemple, ceux qui avaient contracté des prêts bancaires se sont retrouvés dans l’impossibilité de rembourser leur dette suite à la mauvaise production causée par l’effondrement du barrage hydroagricole Gatura ».
Cet effondrement a également été à l’origine de l’insécurité alimentaire : « Après l’effondrement par exemple du barrage hydroagricole Gatura, André Nsababaganwa précise qu’il y a des producteurs qui mangent à peine un repas par jour au moment où ils s’étaient habitués à manger au moins deux fois par jour. »
L’Institut des Statistiques et d’Etudes Economiques du Burundi (ISTEEBU) n’a pas encore publié le rapport annuel des Statistiques agricoles 2021.
Néanmoins, les prix des denrées alimentaires reflètent la production agricole disponible selon la loi de l’offre et de la demande. Pour pallier ce défi, nous nous sommes rabattus sur les bulletins mensuels des prix de 2021 publiés par l’ISTEEBU.
D’après ces bulletins, alors qu’en novembre 2020, un kilogramme de riz blanc local à grains longs coutait 1 850,7Fbu, il est passé à 3000Fbu en novembre 2021, soit une hausse de 62% après une année seulement.
Non seulement cet effondrement a eu un impact sur les prix, il a poussé les commerçants burundais à importer une grande quantité de riz. Emile Bizoza, un commerçant grossiste que nous avons rencontré en Mairie de Bujumbura en Zone et quartier Nyakabiga atteste qu’il a importé une grande quantité de riz en 2021 plus que les autres années précédentes.
D’habitude, ce sont les fournisseurs de la province Bubanza, au Nord-ouest du pays qui nous approvisionnaient en riz. Néanmoins, en 2021 depuis le mois d’Avril nous nous sommes approvisionnés en Tanzanie.
Des propos confirmés par les statistiques des bulletins trimestrielles publiés par l’Office Burundais des Recettes (OBR).
Selon les bulletins trimestriels publiés par l’Office Burundais des Recettes, l’importation du riz s’évaluait à 2 697,7 million Fbu au premier trimestre 2021, soit 0,6% des biens importés.
Dans le second trimestre 2021, pourtant, l’importation du riz a presque quadruplé. Il est passé de 2 697,7 million Fbu au premier trimestre à 10 249,6 millions, soit 2,0% de la valeur des biens importés dans le pays. Graphique
A partir de la saison culturale B, le barrage hydroagricole Gatura est fonctionnel, comme nous l’avons constaté nous-mêmes lorsque nous nous y sommes rendus le 1er Juin 2021. Les cultivateurs comme Alexis et les habitants de Gatura apprécient la réhabilitation de Gatura. Encore plus, il y a aujourd’hui un pont sur la grande rivière Mpanda, ce qui n’était pas le cas avant l’effondrement.
Cependant, la réhabilitation de Gatura n’a pas permis au barrage de retrouver le niveau d’eau (le débit de l’eau) d’avant, nous révèlent Abraham Manirambona et André Nsababaganwa, tous employés du SRDI Chargés de dépêcher de l’eau dans les canaux du SRDI.
« Normalement, ça devrait atteindre 90cm, parfois même aller jusqu’à 120cm de haut. Cependant, nous nous limitions après réhabilitation à 70Cm ou à 80Cm dépendamment des précipitations et du débit de l’eau »
Pour réparer cette erreur, il a fallu que SRD Imbo intervienne après le maître d’ouvrage et installe des madriers pour barrer et faire contourner de l’eau suffisante dans les canaux d’irrigation. Ces techniciens locaux affirment qu’il faut encore ajouter 30 cm de hauteur pour retrouver le niveau de l’eau d’avant : « A l’heure actuelle, nous pouvons atteindre entre 80 et 100 Cm. »
La réhabilitation du barrage hydroagricole a coûté plus de 800 000 000 de dollars burundais, soit environ 400 000 dollars comme nous l’explique le Directeur Général du SRDI.
D’après le directeur général de la Planification, de l’aménagement du territoire, de l’irrigation et de la protection du patrimoine foncier Diomède Ndayiziga, la collecte des données reste encore un défi. Le périmètre irrigué par les barrages hydroagricoles au Burundi n’est pas connu.
Selon le spécialiste en irrigation et conseiller au Ministère de l’environnement, de l’agriculture et de l’élevage, Pierre Sindayikengera les facteurs de l’effondrement des barrages hydroagricoles sont les pluies exceptionnelles et les inondations.
Ces barrages sont démolis aussi bien par l’érosion des pentes très versant sur les collines que par l’entretien insuffisant des bénéficiaires du barrage, a-t-il poursuivi.
Pierre explique que 5 ans après l’aménagement des marais, les redevances hydrauliques collectées par les usagers des barrages se révèlent insuffisantes pour appuyer l’entretien.
Il ajoute qu’il y en a même des cas où ces redevances hydrauliques collectées sont mal gérées ou affectées à d’autres fins à l’image de l’achat des engrais plutôt que les utiliser à l’entretien des barrages.
Pour que ces barrages hydroagricoles soient durables, le barrage devrait être protégé en amont, remarque Pierre, spécialiste en irrigation. Mais aussi, l’Etat devrait mettre en place un fond structurant qui appuierait les ouvrages de grande envergures qui dépassent la capacité des fonds collectés par les usagers des barrages, car l’eau est le facteur primordial de production.
Ce reportage a été organisé par InfoNile et Media in Cooperation and Transition (MiCT) en collaboration avec l’Initiative du Bassin du Nil (IBN) et avec le soutien de la Deutche Gesellschaft fur Internationale Zusammenarbeit (GIZ) GmbH, pour le compte de l’Union européenne et du gouvernement fédéral allemand.