Comment l’eau améliore le café de spécialité de Ruwenzori dans l’est de la RDCongo

Comment l’eau améliore le café de spécialité de Ruwenzori dans l’est de la RDCongo

Pendant longtemps, le café du mont Ruwenzori, ainsi que de plusieurs autres régions de la province du Nord-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo, a fait l’objet d’un trafic transfrontalier frauduleux pour être vendu en Ouganda. N’étant pas bien payés, certains caféiculteurs ont fini par dessoucher les plants de café. Ceux qui avaient gardé les caféiers n’en prenaient pas soin. La qualité étant le dernier de leurs soucis, c’est l’image du café congolais qui s’est érodée sur le marché international. Depuis 2014, un vent nouveau souffle sur la région : la renaissance est portée par des coopératives, comme Kawa Kanzururu.

Avec le soutien d’InfoNile grâce au financement du programme de partenariat pour l’eau et le développement de IHE-Delft, je vous raconte comment le traitement fully-washed de cette coopérative redore l’image du café congolais et le fait entrer dans la classe des cafés de spécialité.

Par : Merveille Kakule Saliboko

Luseke, collectivité-secteur de Ruwenzori, territoire de Beni, dans le bassin du Nil congolais. A presque 1600 mètres d’altitude, nous sommes à la micro-station de lavage de café, section de la coopérative Kawa Kanzururu. Il est 12h 45 minutes, ce vendredi 8 octobre 2021. Assise sur un banc, un pagne noué sur la tête comme foulard pour se protéger contre le soleil de midi, une femme attire mon attention. Non pas parce qu’elle porte des bottes mais parce qu’elle est concentrée à trier le café fraîchement dépulpé. Au niveau de la coopérative, elle est unique : non seulement elle dispose de son propre champ de café, mais elle est machiniste. Cette femme, c’est Rebecca Kambere. « Grâce aux revenus générés sur une saison, j’ai aidé mon mari à scolariser l’un de nos enfants », dit-elle.

À la fin de l’année 2021, la coopérative exploite un total de 26 micro-stations. Jusqu’à 100 caféiculteurs peuvent être membres d’une micro-station, selon que leurs champs sont situés ou non à proximité. C’est là qu’ils traitent rigoureusement le café pour lui donner la couleur du « lwanzururu », le nom local de la neige du mont Ruwenzori. Car « Kanzururu « , dans la langue locale Kinande, désigne  » ce qui est bon et beau, blanc comme la neige  » du Ruwenzori.

A la micro-station de lavage de café…

 « Au niveau du champ, on récolte les cerises bien mûres, rouges [des caféiers]. Pas trop mûries », lance Joël Nyondo, chargé de la qualité au niveau de la micro-station d’Ibatama. Avant d’être rejoint dans la réflexion par le gérant de cette micro-station, Adélard Thembo : « Lors de la réception des cerises à la micro-station, le caféiculteur doit être muni de sa fiche individuelle de livraison. Ici, nous faisons le triage manuel pour voir si le membre a bien trié son café. Puis, on fait le triage densimétrique en flottant les cerises. Celles qui sont plus légères et qui flottent, on les rend au producteur ». S’ensuit le dépulpage.

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Avant d’être traité à la micro-station, le café est trié manuellement. Ici, deux agents de la coopérative en mission de supervision éliminent les cerises qui ne répondent pas aux critères de qualité voulus par la coopérative.
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A la micro-station, le café est pesé, puis il est placé dans des bacs à eau pour flottaison. Seul le café qui passe cette étape est acheté par la coopérative.

Et c’est là que les machinistes, comme Rebecca, entrent en action. Le dépulpage est fait aussi en mettant un peu d’eau dans la machine, pour enlever la pulpe de la cerise. Quand le café est dépulpé, il est fermenté à l’eau et lavé pour enlever le mucilage, une enveloppe sucrée. Pour le honey bean, les cerises sont cueillies et triées, elles sont traitées par voie humide mais séchées naturellement : pas d’étape de fermentation des fèves dans l’eau. Ainsi, le mucilage fait corps avec le grain.  C’est là la différence entre le fully washed et le honey bean. Car pour le honey bean, le café dépulpé est séché avec le mucilage pour lui donner une saveur sucrée.

Après le dépulpage, un autre triage se fait. « Pour mettre de côté les pulpes », dit le chargé de la qualité à la micro-station de Rugetsi, Kasereka Vagheni Baraka.

« Nous faisons la fermentation pendant au moins 12 heures. Ça peut aussi aller jusqu’à 18 heures de temps. 18 heures, c’est au niveau des micro-stations situées en haute altitude,

Kambale Bahundiro, gérant de la micro-station de Mathungu.

Après fermentation, nous faisons le lavage pour éliminer des possibles flottants, puis le triage. Puis, on place le café sous ombrage pour un pré-séchage pendant 4 à 7 jours. Toutes les 30 minutes, nous remuons. Après quoi, le café est prêt pour le séchage au soleil ».

Le gérant de Ibatama d’ajouter : « Lors du pré-séchage, je fais aussi du triage de certains calibres ». Le chargé de la qualité de cette section de continuer : « En moyenne, le séchage dure 2 semaines. Sous un soleil direct, nous faisons le séchage de 8 heures à 10 heures, le matin. Puis, nous remettons le café sous ombrage de 10 heures à 16 heures. Après 16 heures, le café est séché au soleil direct. » À Mathungu, le séchage prend un peu plus de temps. « Chez moi, comme je n’ai pas suffisamment d’ensoleillement, le séchage prend 3 semaines », affirme Bahundiro. «Vers la fin de la deuxième semaine, on commence à utiliser l’hygromètre pour mesurer le niveau d’humidité. Une fois sec, à 11, 12 ou 13%, je stocke et prépare l’évacuation du café vers le bureau central de la coopérative », dixit le gérant de la section de Ibatama.

A l’arrivée au bureau de la coopérative, à Lume, le café est sous la charge d’Éric Kavutwiraki, chef de l’entrepôt attenant au bureau. Lui et son équipe vérifient certaines mesures, comme l’humidité. « Si on n’est pas encore à 12%, je refais le séchage jusqu’à atteindre le niveau requis », renseigne-t-il. Dès qu’il est sec, le café va à l’usine pour sortir le café vert, prêt à l’exportation.

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Quand le café parche arrive à l’entrepôt situé au siège de la coopérative à Lume, il est encore séché au soleil avant d’aller à l’usine

…pour un traitement centralisé

L’impact social de la coopérative est que les caféiculteurs passent moins de temps à traiter le café : en effet, le traitement n’est pas effectué au domicile du caféiculteur mais à la micro-station.

Les producteurs de café membres de la coopérative ne vont plus s’aventurer en Ouganda, au risque d’être arrêtés, pour vendre leur café : membres ou non, les producteurs reçoivent l’argent lorsqu’ils apportent les cerises de café à la micro-station.

Rebecca Kambere est la seule machiniste femme au sein de la coopérative. Et quand on lui demande si elle a déjà formé d’autres femmes, elle répond : « Non, malheureusement. J’ai l’impression que les filles et les femmes ne s’y intéressent pas du tout. » Et les jeunes hommes ? « Ceux-là, c’est encore pire. Au moins encore les femmes, il arrive que l’on passe des journées ici en train de laver et trier le café mais pas l’apprentissage de l’utilisation de la machine. Et là, je reste ici jusqu’au soir », confie-t-elle.

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A Kiribatha, comme dans les autres micro-stations, les machinistes sont des hommes. Sauf à Luseke où Rebecca joue bien le rôle d’exception

Laver le café, le traiter à la machine mais aussi le trier : elle fait cela depuis 2014, année de création de la coopérative. Par saison, «il nous arrive souvent d’atteindre 8 tonnes ». Rebecca est modeste avec les chiffres. Les statistiques annuelles (il y a deux saisons : la petite saison va de février à mai et la grande saison va d’août à novembre), montrent que la micro-station de lavage de café de Luseke produit beaucoup plus. Luseke a ainsi atteint les 42 tonnes de café cerise en 2020.

Produire en qualité, avant de penser quantité

54 ans, mère de six enfants, Kambere manie la machine, pour dépulper le café. Avec tout son lot de difficultés. « Eh bien, quand le moteur est en panne, je dois le faire manuellement. Avec une machine à manivelle. Il faut transporter l’eau qui sera utilisée dans le traitement du café par voie humide. Même trier le café est pénible », assure-t-elle. C’est le prix à payer pour avoir un café de qualité supérieure, apprécié sur le marché international.

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Pagne noué sur la tête, Rebecca Kambere, remue et trie le café parche sous le hangar à la micro-station de Luseke. Malgré les difficultés, Rebecca garde le sourire.

Le café des membres de la coopérative est cueilli à maturité, quand il est rouge. Il est amené à la micro-station de lavage de café pour être traité le même jour. Par voie humide. La micro-station est une unité de 20 à 100 caféiculteurs. C’est le pari osé par Rikolto pour relever le niveau de la qualité du café de la région lorsque cette ONG belge a mis en œuvre un programme café dans l’Est de la République démocratique du Congo, avec l’appui du Common Fund for Commodities, CFC. Le programme comprenait deux autres coopératives : la coopérative Kawa Kabuya (territoires de Lubero-Beni) et la société coopérative des planteurs novateurs du Kivu (située sur l’île d’Idjwi, en province du Sud-Kivu).

Commencer par la qualité était contraire aux principes mis en avant dans les programmes de réhabilitation de la filière café en RDC, mis en œuvre par les ONG.

Pour nombre d’entre eux, il fallait importer les semences, produire du café de volume et espérer changer la vie des caféiculteurs sur le long terme. Sauf que les prix, dans ce genre de modèle, ne permettent pas aux caféiculteurs de gagner décemment leur vie. Et très souvent, à la fin du projet, c’était le retour à la case de départ.

Les rares projets qui essayaient de s’intéresser à mettre en avant la question de la qualité avaient aussi des problèmes manifestes dans leur conception : l’un de ces projets, par exemple, proposait d’ériger deux grandes stations de lavage de café au Nord-Kivu et au Sud-Kivu. Deux provinces où le café arabica est produit en abondance mais où les routes de desserte agricole sont soit recouvertes de longs feuillages, soit boueuses si elles n’existent carrément pas. Ce qui pose d’énormes soucis logistiques. Le relief de la région plaide pour les micro-stations plutôt que les grandes stations. D’ailleurs, les micro-stations sont le modèle le plus utilisé aujourd’hui par les coopératives et les entreprises privées.

Un autre projet financé par le CFC, exécuté par COOPAC holding au Rwanda et au Congo, depuis mai 2017 repose par exemple sur la construction de 5 stations de lavage, contrairement au modèle de micro-stations décentralisées mis en place dans le projet financé par le CFC exécuté par Rikolto.

Le programme de Rikolto, financé par le CFC, a pris fin en décembre 2017. Et cette ONG dit avoir gagné son pari. En avril 2018, cette organisation note, dans son rapport de fin de projet adressé au CFC, que « les prix auxquels les coopératives ont vendu le café Kivu 3 de spécialité ont varié entre 2.700$ et 8.000$ la tonne avec une moyenne de prix de 4.500$ la tonne. Actuellement un consensus s’installe entre les acheteurs et les coopératives pour un prix plancher de (…) 4.409$ la tonne.» 

De 2014 à 2017, selon le rapport de Rikolto, le café ordinaire congolais a été frappé par un différentiel négatif, situé entre 8.465$ et 14.814$ par container par rapport au prix fixé à la bourse de New-York. En revanche, le café des coopératives accompagnées par Rikolto recevait, lui, un différentiel positif d’au moins 21.164$ par container vendu. Entre les deux types de café, une différence de 29.629$ à 35.979$. En 2018, un commerçant de Butembo faisait part des pertes engendrées par un container déprécié à l’international. Il lui avait été demandé de reprendre son café car on ne pouvait pas l’acheter. La qualité, un facteur limitant.

« La qualité du rendement est élevée lorsqu’il est traité par voie humide »

Ingénieur agro-chimiste, Patrick Bakwanamaha dirige le laboratoire café-cacao de l’unité d’agribusiness de l’Université chrétienne bilingue au Congo, UCBC, en ville de Beni. Parmi les cafés qu’il a déjà testés au labo, il y a celui produit par Kawa Kanzururu. « Celui-ci [café de Kawa Kanzururu, ndlr], je l’ai trouvé meilleur », dit-il rapidement.

Pour lui, la qualité du café commence au champ mais dans le cas du café de Ruwenzori, il ne faut pas oublier un aspect : la méthode de traitement qui change la donne. « L’arabica, son rendement [qualitatif, ndlr] semble élevé quand on le traite de cette façon-là. Il y a des amis qui ont essayé par voie sèche mais ça n’a pas donné un bon rendement. Puisque le café, quand il est traité par voie humide, il est égoutté, ça ne l’expose pas à d’autres substances qui peuvent l’attaquer. Même s’il n’y a pas de soleil mais le peu de chaleur qu’il reçoit, c’est suffisant déjà pour qu’il puisse vite sécher. Puisqu’on l’a débarrassé de certaines enveloppes qui ne dérangent plus »

Eau de rivière, sources aménagées,… il y a un peu de tout dans les micro-stations : pour certaines, l’eau vient d’une source aménagée à moins de dix mètres, pour d’autres il faut aller à la rivière à plus d’un demi-kilomètre sur des pentes abruptes pour laver le café avant de revenir le sécher à la micro-station. Léopold Mumbere coordonne le programme café de Rikolto en RDCongo. Selon lui, « pour traiter un kilogramme de cerise de café par voie humide, il faut entre 3 et 5 litres d’eau ».

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Les micro-stations de lavage de café ne sont pas logées à la même enseigne en ce qui concerne l’eau utilisée. A Ibatama, une source aménagée à la micro-station sert aussi la population environnante pour la cuisson des aliments

Prime de qualité

Avant 2014, la plupart des caféiculteurs au pied du mont Ruwenzori traitaient le café par voie sèche. Souvent séché à même le sol, ce café contenait beaucoup de cailloux et de nombreuses impuretés.

En effet, la qualité était souvent le cadet de leurs soucis, à l’époque, puisque le café allait souvent dans les pays voisins par des voies frauduleuses et les caféiculteurs n’étaient pas rémunérés à la hauteur de leurs efforts.

En septembre 2017, le propriétaire d’une unité de déparchage du café, en ville de Beni, m’avait montré un sac plein de petits cailloux dans un coin de son usine. « Les caféiculteurs véreux ajoutent des cailloux dans le café pour que ça pèse afin de gagner plus », m’avait-il confié.

Surtout avant 2014, le café était cueilli et séché en vrac, avec des cerises mûres et celles non mûres, encore vertes. Les caféiculteurs faisaient du strip-picking, contrairement au picking qui se fait dorénavant à travers la coopérative. Aujourd’hui encore, de nombreux caféiculteurs non-membres de la coopérative continuent avec cette pratique. Le « pilonné », nom donné localement à ce café ‘natural’, avait fini par ternir l’image du café congolais sur la scène internationale. « Imaginez-vous, vous récoltez les cafés verts et les cafés qui sont rouges, vous les mélangez et vous les amenez … Carrément, quelqu’un qui est averti avec sa langue, il saura, non, c’est un mélange de café mûr et de café non mûr. Si tu récoltes des cafés qui ne sont pas arrivés à maturité, celui qui a une langue avertie se dira que non, ce café n’est pas arrivé à maturité », commente Patrick Bakwanamaha.

Des scores qui ouvrent des portes

Kawa Kabuya, depuis 2015, a toujours occupé la première place du chapitre de la République démocratique du Congo du concours Taste of Harvest organisé par l’African fine coffees association, AFCA. Sauf en 2018.

Avec 85,5%, Kawa Kanzururu occupe la première place de ce concours, l’aboutissement des efforts déjà entrepris par les caféiculteurs membres de cette coopérative, ouvrant un peu plus les portes du marché international.

Des acheteurs plus nombreux

Parmi ces acheteurs internationaux, Higher Grounds. Début février 2018, cette entreprise américaine fait cette annonce sur son site web lors du lancement de la vente du café torréfié Kawa Kanzururu : « Aujourd’hui, nous sommes très heureux de lancer un café qui est vraiment le premier de son genre. Grâce à notre exploration du café congolais et aux relations que nous y avons développées au cours des dernières années, nous avons fait la connaissance des cultivateurs de Kawa Kanzururu, une jeune coopérative qui propose un modèle économique novateur aux communautés environnantes. »

Car, « le café exceptionnel de la RDC émerge sur la scène mondiale. Le café de Kawa Kanzururu illustre bien le caractère unique de l’est du Congo : des variétés Bourbon héritées, cultivées dans une riche terre volcanique et entretenues par des générations d’agriculteurs dont le travail est resté trop longtemps méconnu et non récompensé. »

Sauf que les terres du Ruwenzori ne sont pas volcaniques. Jürg et Barbara Lichteneger, deux géographes passionnés de montagne, ont exploré le mont Ruwenzori en janvier 1977. Dans « le Ruwenzori ou les fantaisies de la météo », article relatant leur expédition sur le mont de la lune et publié en 1978, on lit ceci : « Le Ruwenzori, le Mont Kenya et le Kilimandjaro sont les « trois grands » d’Afrique et sont souvent cités ensemble. Pourtant, le Ruwenzori se distingue des deux autres sur plusieurs points. L’un d’eux est la géologie. Tandis que Kilimandjaro et Mont Kenya sont de puissants volcans, le Ruwenzori est constitué principalement de roches primitives. Ce sont des masses rocheuses soulevées par pression, un horst géologique, à la lisière  Est du fossé d’Afrique centrale. On en attribue la formation à des poussées du Post miocène. Des épaulements  aplanis, correspondant à des phases de repos tectonique, le démontrent parfaitement ».

«L’altitude, la latitude et la composition du sol donnent un goût de « caramel » et de « chocolat » à ce café de spécialité », écrit Rikolto dans une note interne sur la coopérative Kawa Kanzururu, note à partager aux acheteurs potentiels du café de la coopérative. Si « caramel » et « chocolat » sont deux adjectifs donnés par les dégustateurs de Taste of Harvest, le profil établi par Rikolto dans une note adressée à l’un de ses partenaires financiers, la Fondation EFICO, précise que le café de Kawa Kanzururu est planté sur des « sols argilo-calcaires ».

Et le coronavirus dans tout ça ?

La RDC notifie son premier cas de covid-19 le 10 mars 2020. Dans la foulée, des mesures sont mises en branle par le gouvernement congolais. Bureaux de l’Etat fermés, en plein confinement, la pandémie de covid-19 a amené son lot de difficultés, comme la gestion de la main-d’œuvre.

«Pour réunir un lot de café, il faut beaucoup de bras. Mais avec le corona et les mesures de distanciation sociale, nous avons dû faire avec peu de gens. Ce qui avait deux conséquences. La première est que cela prenait beaucoup plus de temps que prévu pour réunir le lot et expédier le café. Si la préparation du container pouvait prendre 15 jours, à cause du corona il fallait au moins 25 jours. La deuxième conséquence, c’est que plus les jours de travail s’accumulent, plus il est difficile de respecter les plafonds budgétaires pour les dépenses liées au conditionnement du café», souligne Roger Kasereka Tata Wa Makolo, directeur général de la coopérative, dans un entretien publié sur le site web de Rikolto.

Mais jusqu’à présent, aucune personne travaillant pour la coopérative ou un membre n’a attrapé le virus. «Grâce aux mesures-barrière mises en place», affirme Roger. En effet, des kits de lavage des mains ont été installés au bureau de la coopérative et dans chaque micro-station de lavage de café.

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A Lume, cache-nez bien vissé, le président de la micro-station se lave les mains dans un effort commun de lutte contre la pandémie

Certification, pour « des lendemains meilleurs »

«La coopérative Kawa Kanzururu a signé des contrats de partenariat à long terme avec Malongo et Volcafé. Dans le cadre du « mémorandum d’engagement » la liant à Volcafé, Kawa Kanzururu a vendu deux conteneurs au prix de 3,09$/kg. Ce mémorandum a été signé entre Volcafé, Coopade, Kawa Kanzururu, Virunga foundation et Farm Africa», lit-on dans le rapport annuel 2019 de Rikolto en RDCongo. Le rapport précise que «la coopérative Kawa Kanzururu pourra prétendre à plus de revenus dans le cadre dudit accord dès qu’elle aura été certifiée commerce équitable.» 

« Un prix de 3,09$/kg est bien trop bas pour ce café et donnera moins de revenu à la coopérative », commente Puissance Mwandu, agroéconomiste et enseignant au département agribusiness à l’UCBC.

En effet, ce prix pourrait même conduire à des pertes. 59.328$ ne couvrent même pas toutes les charges pour faire un container (un container, c’est 19 200 kg ; ou 320 sacs de 60 kg de café vert) de café de spécialité. Fin 2019, à une délégation du Fonds international pour le développement de l’agriculture, FIDA, le directeur de Kawa Kanzururu avait fixé la barre à 70.000$.

Pas étonnant qu’avec ce prix, la coopérative ait décidé de ne plus travailler avec Volcafé. Le partenariat à long terme continue avec Malongo, entreprise pour laquelle « le renforcement de l’organisation sociale et l’assurance de débouchés à un prix minimum garanti permettent aux petits producteurs de gagner dignement leur vie ».

Selon une note interne à la coopérative Kawa Kanzururu de janvier 2021, le partenariat avec Farm Africa et Virunga Foundation (qui gère le parc national des Virunga pour le compte de l’Institut congolais pour la conservation de la nature, ICCN) s’inscrit dans le cadre plus large d’un projet de développement agricole financé par l’Union Européenne et couvrant plusieurs zones du Nord-Kivu et plusieurs chaînes de valeur.

« Ce projet va se concentrer sur la chaîne de valeur café et sera structuré autour de 4 thématiques : l’agriculture, la transformation, la gestion financière et le marketing. Grâce à ce partenariat, la coopérative est maintenant certifiée : Organic, Fair For Life, et Fairtrade», lit-on dans cette note signée par le directeur.

« Les certificats organic et fair for life, c’était un cofinancement avec le PASA-NK à travers Rikolto », clame l’ONG belge. Le PASA-NK, c’est le projet d’appui au secteur agricole dans la province du Nord-Kivu. C’est un projet financé par le FIDA. Rikolto est l’organisation cheffe de file de la filière café arabica de ce programme du gouvernement congolais.

Kawa Kanzururu a obtenu la certification biologique en 2020. Ce certificat, dont les standards doivent être maintenus chaque année, a une durée de validité qui court jusqu’au 31 mars 2022. La certification biologique a été renouvelée pour un an, pour se terminer le 31 mars 2023.  En plus de cela, la coopérative a obtenu, toujours en 2020, la certification Fair for Life (valide jusqu’au 30 avril 2024), sorte d’antichambre pour le certificat Fair Trade. La certification Fair Trade (commerce équitable) est arrivée en 2021 (valide jusqu’au 11 février 2025).

La contrepartie du certificat est de soutenir l’érection de points d’eau et de routes de desserte agricole bénéfiques aux micro-stations et aux habitants de la zone, mais aussi d’hôpitaux et d’accorder des bourses pour les membres. Mais ces bénéfices ne sont pas encore visibles sur le terrain car les premières primes ont commencé à arriver au second semestre 2021. C’est quand les membres seront réunis en assemblée générale annuelle qu’ils décideront de ce qu’ils feront de l’argent issu de la certification.

« J’ai l’impression que c’est maintenant que la coopérative vient de commencer à travailler». Ces mots sont ceux de Prince Maliva, superviseur agronome et responsable de la certification au sein de la coopérative Kawa Kanzururu, à l’issue d’un entretien à la micro-station de lavage de café de Mathungu. Prince faisait référence aux primes de certificat que la coopérative commence à percevoir. Avec la certification, «c’est une garantie que nous avons un marché pour notre café», selon Prince Maliva. Une bonne nouvelle, car le nombre de membres de la coopérative ne cesse de croître, passant de 523 membres en 2014 à plus de 2121 caféiculteurs affiliés en 2021.

Besoin de diversification

Ce partenariat triennal – il va jusqu’au 30 juin de cette année- s’établit sur du fully washed mais pas que. « La coopérative Kawa Kanzururu produit aussi du ‘natural’ à partir du café de ses membres qui sont éloignés des micro-stations de lavage de café », glisse Adélard Palata, agronome en charge du secteur café chez Virunga Foundation.

« C’est du K5 », répond le directeur de la coopérative.

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Le traitement à la micro-station, comme ici à Lume, sort la première et la deuxième qualité. Le café tout blanc c’est de la Q1, première qualité, qui donne le K3. Celui mélangé va donner la Q2, d’où sortent le K4, le K5 et le K7.

Le K5, c’est le Kivu 5, catégorisation qu’on retrouve dans la marque de commercialisation de l’arabica congolais : le premium étant le K3, commercialisé comme café de spécialité à l’international, et le bas de gamme se trouvant être le K9. Mais la coopérative Kawa Kanzururu ne commercialise, sur les marchés international et local, que du K3, du K4, du K5 et du K7.

« Le projet avait commencé avec un seul processus de traitement de café par la voie humide. Trois autres procédés (le ‘natural’, le ‘white honey’ et ‘black honey’ processes) ont été essayés dans les trois coopératives. Les résultats ont émerveillé les acheteurs à tel point que durant l’année 2017, 600kg de ces cafés ont été exportés en Belgique. Une intention d’un acheteur de Taiwan demeure pour un premier contrat de 9 tonnes», lit-on encore dans le rapport de fin de projet CFC de Rikolto.

Sauf qu’entre-temps, la diversification des méthodes de traitement n’a pas suivi. Mieux, il s’observe un retour à la case de départ. Le 6 septembre 2019, Rikolto écrivait ceci sur son site web pour présenter ses ambitions à travers le PASA-NK, projet qui venait de démarrer quelques mois plus tôt : « Présentement, toutes les micro-stations de lavage font du café lavé, le fameux « fully washed ». Les coopératives seront invitées à faire les expérimentations de traitement d’autres types de café dans leurs micro-stations : du café « natural » et du « honey bean ». (…) La diversification des produits suppose la diversification des acheteurs ». À mi-parcours de ce projet, rien n’a bougé en termes de diversification des cafés.

Prix rémunérateurs pour les caféiculteurs

Les membres ont besoin de ressentir la croissance de la coopérative dans leur poche. « J’ai déjà acheté une moto, la voilà là-bas. J’ai aussi acheté une parcelle. Je viens aussi d’acheter un nouveau champ », dit fièrement Eliezer Nyanza, caféiculteur de Rugetsi et ancien président de la micro-station de lavage de café du coin. Car c’est sur le plan financier que tout se joue : bien rémunérés pour subvenir à leurs besoins, les caféiculteurs seront professionnels et la filière sera durable. Mais pour cela, il faut que la coopérative arrive à vendre plus. A de bons prix.

Kavugho Yambuka, mère de six enfants, est une caféicultrice de Rugetsi depuis 28 ans. Elle est propriétaire de son propre champ de café, « acheté avec une poule ». Grâce au café, ses enfants sont scolarisés. En février 2018, alors que Higher Grounds s’apprêtait à mettre sur le marché américain le café du Ruwenzori, elle lançait ce message aux consommateurs de café : « Euh bien, buvez notre café. Donnez-nous un prix rémunérateur afin que nous puissions encore gagner plus. Voilà donc mon message : un prix encore plus élevé. » Pour quelle raison les consommateurs devraient-ils continuer à boire ce café ? Réponse de Yambuka : « Nous allons [continuer à, ndlr] traiter notre café selon les normes de qualité… »

Dans sa note interne, le directeur de la coopérative prévient : « Pour la commercialisation de ces cafés, il faut disposer d’acheteurs potentiels et puis disposer d’accès  aux crédits bancaires ». Un sérieux défi que Rikolto s’était proposé de relever dans le cadre du PASA-NK.

« Pour commercialiser, il faut accéder aux crédits »

Sauf que, pour le volet crédit par exemple, les choses ne se passent pas comme prévu : une somme de 1.2 millions de dollars répartie sur 5 ans avait été glissée dans le projet comme appui à la commercialisation pour servir comme crédit ou comme fonds de garantie pour quatre coopératives de café, dont Kawa Kanzururu. L’option n’a jamais été levée par l’unité de coordination du projet PASA-NK. Déjà que le projet a pris du retard pour démarrer, il faut aussi faire avec la lourdeur administrative.

Selon une source proche du dossier, dans le plan de travail et budget annuel, PTBA 2022, l’unité de coordination du projet accorde une ligne de 124.000$ à Rikolto. Chez Rikolto, on préfère temporiser : « Même si c’est dans le PTBA, toutes les conditions ne sont pas réunies. Aussi, l’unité de coordination du projet a réduit le nombre de coopératives bénéficiaires de 4 à 2 », révèle une source proche du dossier. Ce qui risque de créer des tensions entre coopératives, tant Rikolto envisage de ne pas accorder la priorité à la coopérative Kawa Kanzururu et à COOPADE « puisqu’elles ont déjà accès à une importante ligne de crédit chez Root Capital à travers le partenariat qui lie ces deux coopératives à Virunga Foundation/Farm Africa ».

Dans le cadre d’un projet financé par l’USAID, Farm Africa met en relation près de 30 coopératives de la région des Grands Lacs africains avec Root Capital. Parmi ces coopératives figurent COOPADE et la coopérative Kawa Kanzururu, qui sont soutenues par Farm Africa/Fondation Virunga dans le cadre du projet de l’Union européenne autour du parc national des Virunga.

Pour se mettre à l’abri des fluctuations des prix du café marchand, Kawa Kanzururu envisage de torréfier une partie de son café. Pour le vendre dans la région, tant au niveau urbain que rural. Et le marché rural, ce sont les membres de la coopérative qui seront amenés à consommer le café made in DRC. Des pays comme l’Ethiopie ont réussi à se mettre à l’abri des fluctuations de la bourse de New-York en consommant une bonne partie de leur production. 

Un pas dans la bonne direction ?

Nicodème Mulumba wa Kasongo, le directeur, chef de secteur de Beni à l’office national des produits agricoles du Congo, ONAPAC, établissement public ayant notamment l’encadrement des caféiculteurs et le prélèvement des taxes y afférentes dans ses attributions, est formel : « On doit produire pour qu’on puisse gagner quelque chose. Et pour gagner cela, que ça soit très consistant, il faut d’abord que le produit puisse avoir une valeur ajoutée. Et une valeur ajoutée, c’est transformer ces produits en produits finis. Et c’est comme ça que nous allons encourager la population de Beni, de Butembo et tous ses environs de commencer à consommer notre production locale de café. Nous avons un café de très bonne qualité qui est apprécié partout dans le monde. »

Alors question : « Concrètement, que fait l’ONAPAC, établissement public, pour soutenir les caféiculteurs autour du mont Ruwenzori ? » La réponse de notre interlocuteur est évasive : « Nous sommes dans le PASA-NK. Nous, nous accompagnons Rikolto donc nous apportons notre assistance technique. Mais sur le plan organisationnel et logistique, c’est Rikolto qui est le chef de file. » C’est donc du côté de Rikolto qu’il faut tourner le regard.

Nous avons demandé à Rikolto ce qui est fait pour soutenir le volet consommation locale du café dans le cadre du projet PASA-NK. Nous n’avons reçu aucune réponse. Au début du projet, cette organisation avait fait cet engagement sur son site web : « Le dernier volet du PASA-NK, c’est la promotion de la consommation locale de café. Il en va de la viabilité de la filière en RDC. En effet, la filière café est solide dans les pays producteurs de café qui consomment eux-mêmes une majeure partie de leur production. Un pays dont la production de café est consommée localement est à l’abri des fluctuations de la bourse de New-York. Ainsi, les producteurs obtiennent un meilleur prix, stable. Au Congo, pour l’instant, le café consommé sur le plan local n’est rien d’autre que du café importé sous forme soluble dont la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. » 

Le marché du café torréfié est là

Quand on lui demande si les congolais consomment du café et ne le voient pas seulement comme une culture d’exportation, Bakwanamaha, de l’UCBC, répond : «La culture est là ! Dans tous les baraza là-bas, qu’est-ce qu’on dit quand tu y entres ? « Est-ce que tu as amené le kawa pour les bazee ? » ça signifie qu’il y a cette culture de consommation du café. Partout où nous dormons dans les deuils là-bas, qu’est-ce qu’on achète pour les gens qui vont passer la nuit autour du feu ? C’est du café ! On n’achète pas le thé, on n’achète pas le cacao. Mais c’est du café qu’on achète là-bas. »

En juin 2018, Léopold Mumbere participe au forum-expo café-cacao à Kinshasa. Le directeur de l’ONAPAC fait alors part des chiffres qui font froid au dos. « 13.000 tonnes de poudre de café importées contre 12.000 tonnes de café vert exportées suivant la Banque centrale du Congo », rapporte Léopold.

Résumons : selon les chiffres communiqués ce jour-là, le Congo exporte l’équivalent de 25 millions de dollars de café et importe 10 fois l’équivalent de ses exportations, autour de 250 millions de dollars.

Un marché que veut conquérir un nombre croissant d’acteurs congolais. Ainsi, rien qu’au Nord-Kivu et Sud-Kivu, on compte aujourd’hui une trentaine d’acteurs qui font la torréfaction du café. Un engouement que Léopold Mumbere, lui-même l’un de ces acteurs avec son entreprise LM Coffee, ne porte pas particulièrement en cœur : « C’est une bonne chose au début mais la pratique et l’expérience montrent qu’ils finissent tous par la faillite car leur concurrence est aveugle et contre-productive. Cas des coopératives d’épargne et de crédit, des maisons de vin, etc »

Ce n’est pas la première fois pour Kawa Kanzururu

Si aujourd’hui la coopérative veut torréfier une partie de son café, il faut noter que ce n’est pas une première pour Kawa Kanzururu. En juin 2018, « Taarifa ya Kawa Kanzururu”, journal interne de la coopérative affiché dans les micro-stations de lavage de café pour informer les membres, publiait ce qui suit : « KAWA KANZURURU IMETENGENEZA KAHAWA YA UNGA. Kahawa yetu ya unga imekuwa tayari kuuzishwa madukani.Kwa wote wanamemba wetu na wasiyo kuwa wanamemba wawe tayari kutumia kahawa hiyi bora arabica, kwa bei raisi, kupitia ma duka na MSL zetu hapo karibuni. 50g ni 500FC, na 100g ni 1000FC. »

Traduction : « Kawa Kanzururu vient de torréfier du café. Notre café torréfié est prêt à la vente dans les boutiques. A tous les membres et non-membres d’être prêts à acheter ce bon café arabica, à bas prix, dans les boutiques et nos micro-stations dans un avenir proche. 50 grammes c’est 500 francs congolais, et 100 grammes c’est 1000 francs congolais ».

Alors, comment expliquer que l’expérience de la coopérative Kawa Kanzururu se soit arrêtée ? Lauraine Kipuruka, diplômée d’agribusiness de l’UCBC, connaisseuse du café en territoire de Beni, avance une explication : « Je crois que le pouvoir d’achat avait une part mais aussi le produit concurrent « café mon amie » car son prix était à 300 francs congolais et la population était déjà habituée à ce prix ». À cela, il faut ajouter, selon Lauraine, le fait que « certains agriculteurs  font la torréfaction artisanale de leur café pour la consommation.»

Voir les caféiculteurs de Ruwenzori gagner davantage à travers la stabilisation des prix via la torréfaction et la vente locale de café est un vœu que plus d’une personne veut voir se concrétiser.

« C’est ce que les cultivateurs reçoivent après la vente de leurs produits, qui peut les encourager à améliorer davantage.»

le directeur chef de secteur de Beni à l’ONAPAC,

Il lie l’adoption des bonnes pratiques agricoles aux revenus générés par le café au niveau des ménages. Le chemin est encore long. Difficile aussi de savoir si la coopérative a tiré les leçons de l’expérience de 2018 tant elle n’a pas voulu répondre à nos questions à ce sujet.

Espérons que les caféiculteurs de Ruwenzori seront séduits par le modèle de circuit court pour aider leur coopérative. Espérons surtout que cette fois-ci sera la bonne pour que la coopérative prenne son envol dans ce secteur !

Cette histoire a été réalisée avec le soutien de InfoNile en partenariat avec Code for Africa, grâce au financement du programme de partenariat pour l’eau et le développement de IHE-Delft. 

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