Ce que l’énergie hydroélectrique a changé dans l’entreprenariat des jeunes et protégé le parc national des Virunga dans l’est de la RDCongo

Ce que l’énergie hydroélectrique a changé dans l’entreprenariat des jeunes et protégé le parc national des Virunga dans l’est de la RDCongo

Nord-Kivu/ Butembo-Beni – Il y a près de cinq ans, l’énergie hydroélectrique n’était qu’un mot des livres scolaires pour le plus d’un million et demi d’habitants des villes de Beni et Butembo (Nord-Kivu), dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDC). Depuis 2017, une centrale hydroélectrique est opérationnelle à Ivugha, un village périphérique de Butembo. Elle fournit cette dernière ainsi que sa ville voisine (Beni) du courant électrique.  Cette énergie électrique a changé la donne dans plusieurs secteurs, en particulier l’entreprenariat des jeunes. Désormais, de petites et moyennes entreprises existantes réalisent de bonnes marges de bénéfice . Elles épargnent des dépenses jadis affectées à l’énergie. Et surtout d’autres, nouvelles et innovantes, sont du coup  nées. Une aubaine , à plusieurs  avantages:une énergie propre car renouvelable et non polluante, un pas dans la préservation de la biodiversité du parc des Virunga car avec cette énergie censée remplacer le makala.  Néanmoins la couverture du réseau électrique reste encore faible et le prix n’est pas encore à la portée de toutes les bourses. 

Un reportage de Hervé Mukulu, produit en partenariat avec InfoNile grâce au financement de JRS Biodiversity Foundation  édité par Claude Sengenya et Umbo salama ; réalisé avec la contribution  de  Juvénal Bulemo, Georges Kisando, Emmanuel Kateri, Jackson Sivulyamwenge et Robert Mwenderwa. 

Carte Centrales NK par Sorel 1
Situation géographique des villes de Butembo, Beni et les cités de Mutwanga et Lubero. Les différentes centrales construites dans la région et leurs capacités respectives. 

A la tombée de la nuit, des réverbères s’allument d’un coup dans les artères de la cité de Lubero. Telle est la scène magique à laquelle les habitants de cette cité, située à 45 km de la ville de Butembo, ont assisté le 14 décembre 2021. Cette joie immense est saluée comme signe d’espoir dans les réseaux sociaux, « Enfin, le courant est là, à Lubero, à la porte de Butembo. », s’exclame un jeune homme de Lubero dans un groupe WhatsApp en partageant cette photo devenue virale. Cette lumière dans la rue est signe d’espoir concrétisé, « Ce courant, nous l’attendions comme le retour de Jésus. C’est une grâce de l’avoir maintenant, il va nous aider beaucoup car il n’y a pas de développement sans électricité, il n’y a pas de zone économique sans électricité», fait savoir Nzoli Roger, président de la Fédération des Entreprises du Congo (FEC), section de Lubero. « L’électricité  est l’une des sources de développement », complète Katembo Katsetse Masudi, la trentaine révolue, un entrepreneur local et président du Kyaghanda Yira Lubero, une structure culturelle de la tribu Nande.  

 Il y a de cela cinq ans, à Butembo et à Beni, pour se procurer l’énergie électrique suffisante afin d’alimenter une activité génératrice de recette comme un bar, une boutique ou une cabine de charge téléphone, deux seules options étaient à table.  Soit se procurer ou s’abonner à  un générateur à combustible, soit encore se doter d’un équipement solaire. Ce qui exigeait un investissement souvent hors de portée de la bourse des jeunes soucieux d’entreprendre dans ces importantes villes commerciales du Nord-Kivu. Pour pallier ce problème, frein du développement dans la région, certains projets ont vu le jour.

 D’abord l’organisation Virunga Alliance a mis sur pied plusieurs projets de centrales hydroélectriques autour du Parc National des Virunga (PNVi) pour réduire la pression anthropique sur ce patrimoine mondial en péril. 

Dans la partie Est, nous avons programmé 6 centrales hydroélectriques dans le Virunga  qui vont nous faire 105 à 120 MW et qui vont créer à peu près 120 mille emplois. Et autour de nos aires protégées, ce que nous visons, c’est d’essayer de pérenniser ces pratiques, ces bonnes pratiques. Demain, les aires protégées ne doivent plus être comme des îlots enfermés, mais plutôt elles doivent être considérées comme des pools de développement. Donc, les investissements qui sont donnés aux aires protégées préparent un avenir meilleur.”, avait expliqué Pasteur Cosma Wilungula, Directeur général de l’ICCN (Institut Congolais pour la Conservation de la Nature) rapporté par le média Congo profond. 

Depuis la distribution du courant électrique fourni par la centrale de Matebe (en territoire de Rutshuru, province du Nord-Kivu), l’utilisation du charbon de bois, dont une grande partie est exploitée illicitement dans le PNVi, a sensiblement baissé de 50 % dans les ménages et entreprises déjà desservies, selon l’ICCN.  En effet, le bois énergie, consommé sous forme de charbon de bois ou de bois de chauffe, est la principale source d’énergie domestique en RDC. Il est utilisé principalement pour la cuisson alimentaire dans les ménages et pour certaines usines artisanales (pain, shikwange, briqueterie,…). L’accès à l’électricité au niveau national a été estimé à 19.1% en 2019 selon la Banque mondiale. Autour des parcs et des réserves naturelles, les populations ont rarement d’autres choix que d’y puiser ce dont elles ont besoin; même si consciemment, ils savent que c’est interdit. C’est ainsi que les occupations illicites des espaces protégés, la pêche illégale, la déforestation pour le charbon de bois, le braconnage des mammifères, la présence des groupes armés, la problématique de l’exploitation pétrolière sont les maux qui menacent le Parc National des Virunga, classé patrimoine mondial en péril. La création des barrages hydroélectriques est ainsi considéré comme un moyen pour lutter contre cette pression anthropique, étant donné  que la disponibilité de l’énergie électrique est susceptible de réduire la demande en bois énergie et de favoriser la création des entreprises qui détournent la population de la destruction de la biodiversité des réserves

Il s’agit, tout d’abord, de la centrale Mutwanga I, avec une capacité de 1.4 MW, érigée en 2013, dans les environs de la cité portant le même nom, au Nord du Parc National des Vuringa. Il y a, ensuite, celle de Matebe, dans le territoire de Rutshuru, au sud-est du PNVi, avec une capacité de 13.8 MW. Vient ensuite la centrale hydroélectrique Mutwanga II, érigée en 2019, avec une capacité de 2.35 MW. Celle de Luviro, en territoire de Lubero, est en cours de construction. Un partenariat public-privé accorde trois projets de la centrale à l’entreprise Energie du Nord-Kivu (ENK) dont une seule est fonctionnelle pour l’instant. Le barrage d’Ivugha, au sud de Butembo, avec une capacité de 2.8 MW, alimentant les villes de Butembo et Beni. Le projet Talihia pour une capacité de 20 MW  dont la première centrale de 12 MW, rassure l’entreprise,  est en cours de finissage. 

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Après 19h00, des femmes vendent leurs produits sur la rue d’ambiance à Butembo, sous un lampadaire de l’éclairage public ©Georges Kisando

La stabilité du courant et le prix abordable sont les atouts majeurs qui ont changé le goût de la vie et le visage de l’entrepreneuriat dans la région. Observer de femmes marchandes qui vendent des produits frais le soir après 19 h 00 sous les lampadaires en plein centre-ville, travailler après 22 h 00 sans se soucier du courant, avoir de l’électricité en permanence à la maison, garder tout au frais, une entreprises survivre avec 10 dollars de courant le mois,… tout cela était inimaginable, il y a seulement 4 ans à Butembo. 

Adieu jhangfa, le générateur pollueur

Entre 2000 et 2015, à Beni et Butembo, tout comme dans les cités environnantes, il fallait recourir aux groupes générateurs (20 Kw) essentiellement importés de la Chine. 

En installant un dans un quartier, le générateur pouvait distribuer de l’électricité à près d’une centaine de petits commerçants, y compris des ménages. Le paiement était facturé selon le nombre d’heures de service journalier. 20 dollars le mois pour un ménage alimenté 4 heures durant le jour, essentiellement de 17h00 à 22h00 ; voire 50 dollars le mois pour une cabine de charge téléphonique ou une mini-alimentation pour 6 à 8 heures de courant la journée. Capacité offerte, 1 ou 2 deux ampères. Le prix reste uniforme même quand on a pas de courant suite aux pannes. 

Vers 2014-15, ils ont perdu leur attrait pour les ménages, d’abord avec l’avènement des panneaux solaires. Aussi,  ces générateurs ont été interdits dans les quartiers du centre-ville à Butembo comme à Beni. S’en débarrasser est un double avantage, pour les autorités : « une pollution sonore et une pollution en carbone désobligeante ». (Par contre,ndlr), l’Énergie hydroélectrique est propre car renouvelable », note le Professeur Sahani Walere, Directeur du centre Génie-Conseil en Aménagement du Territoire et Gestion des Risques Naturels (GcATGRN). Suite aux raccordements anarchiques, le courant électrique issu des générateurs causait souvent des court-circuits qui allaient de l’endommagement des matériels à morts d’hommes. 

L’érection des centrales hydroélectriques dans la région a donc motivé de nombreux entrepreneurs de dire adieu à ces générateurs pollueurs interdits, par la suite, par les autorités. 

Aujourd’hui, comme Serge Kambale, détenteur d’une boutique en ville de Beni, dans le célèbre quartier Matonge, nombreux entrepreneurs font des bonnes marges de bénéfice en épargnant des colossales dépenses jadis affectées à l’énergie. « Avant, pour l’énergie du groupe électrogène, je dépensais 50 dollars américains le mois, mais aujourd’hui avec ENK (la Société Energie du Nord-Kivu, Ndlr), je dépense autour de 17 dollars », nous a confié Serge Kambale. 

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Un générateur à Mazout en usage de secours par une station radio en cas de coupure de courant  ©Hervé Mukulu

Un générateur utilisé par une station radio à Butembo pour faire fonctionner un émetteur de 1000 Watt

Des jeunes investissent et tournent le dos aux groupes armés 

Médiard Kakule, responsable de la Fédération des Petites et Moyennes Entreprises en ville de Butembo, FENAPEC/ Butembo parle d’une aubaine pour les entrepreneurs et surtout les jeunes.  

Car l’emploi pour les jeunes  est un réel défi pour le Congo-Kinshasa.  Alors que la Banque Mondiale, en 2019,  avance des chiffres 7.75% des jeunes congolais de 15 à 24 ans qui sont au chômage,  le Conseil urbain de la jeunesse en ville de Beni (Nord-Kivu) révèle qu’environ 80 % des jeunes sont sans emplois dans la région. Quoique reflétant une certaine réalité, ces statistiques sont à prendre avec des pincettes. Une bonne partie de la jeunesse vit avec des emplois de “chômage déguisé”. 

L’économie locale est en grande partie informelle, la majorité des jeunes vivent et font vivre leurs familles avec des activités génératrices de recettes dont les capitaux varient entre 50 et 1000 dollars, mais ne disposent pas de documents légaux.

Ils s’arrangent avec les taxateurs pour payer de petites sommes d’argent qui n’atterissent pas forcément dans les caisses de l’Etat. Ce qui leur permet de  ne pas payer les taxes et les documents légaux. Ces derniers étant surtout élevés par rapport à leurs activités. Ces jeunes ne s’enregistrent pas comme des chômeurs non plus.  En titre d’exemple, il suffit de disposer d’environ 100 à 500 dollars pour commencer à revendre les unités des maisons de télécommunication ou du carburant. Si on fait des bénéfices de 3000 à 5000 Fc par jour, la famille survit. Et ce jeune ne s’enregistrera jamais comme chômeur à l’Office Nationale de l’Emploi. 

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Une couturière styliste devant sa machine à coudre utilisant l’énergie électrique ©Georges Kisando

Pire, les jeunes diplômés universitaires, même s’ils n’ont pas d’emploi, ne s’enregistrent pas non plus comme chômeurs par orgueil. Ce qui fait que ce service, censé donner les statistiques sur l’emploi des jeunes, pourrait disposer de chiffres fallacieux.  Mais ces jeunes, de 15 à 40 ans, sont actifs et vont vivre des villes entières. 

« Des cabines de charge téléphonique, alimentations, ateliers d’ajustage métallurgique, menuiseries, salons de coiffure qui commencent même à fonctionner la nuit. Ce courant est un vrai avantage pour les entreprises. Je ne sais combien sont nées avec, mais elles sont vraiment nombreuses », témoigne Médiard Kakule au téléphone avec enthousiasme. De son côté, la société civile est formelle sur cet avantage unique, « L’électricité a toujours été une opportunité pour les jeunes à pouvoir trouver de l’emploi ou à mener leurs activités autour  de ceux qui en ont. Ce qui les occupe pour ne pas aller côtoyer les groupes armés ou céder aux antivaleurs. Ce qui va impacter certainement l’amélioration de la situation socio-sécuritaire chez nous », ajoute Edgard Mateso, vice-président de la Société Civile du Nord-Kivu. 

L’insécurité est un défi réel auquel font face même ces sociétés d’énergie. Plusieurs fois, les installations de la centrale hydro-électrique d’Ivugha a été attaquées par des miliciens mai-mai pour des raisons inavouées. « Lors des troubles dans les villes, comme des journées ville morte, on perd des jours de service.», se plaint James Vanhoutte, Directeur commercial d’ENK. « Récemment, en avril,  nous avons fait 2 à 3 semaines complètes sans travailler. C’est énorme », rappelle-t-il.  

Le solaire, le kérosène tout comme les piles, à la touche 

Ce qui prouve encore que l’énergie hydroélectrique est un nouveau souffle pour l’entreprenariat des jeunes, c’est qu’elle supplante même l’énergie solaire. En effet, face à la carence énergétique, il suffit de quelques dollars (à partir de 20 $), acheter un panneau solaire et une batterie, pour fournir de la lumière à sa maisonnée ou son entreprise à travers des ampoules LED. Ce qui a causé la disparition des lampes à kérosène ou des torches à piles non rechargeables. Un peu plus de dollars, entre 100 et 500, pour faire fonctionner des appareils électroniques comme l’appareil téléviseur ou revendre cette énergie en chargeant les téléphones, en rendant frais un jus de fruit. Pour certains services (pop corn, chambre froide, couveuses), le solaire n’est même pas envisagé pour les jeunes, car il demande un investissement de plus d’un millier de dollars. 

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A Butembo, une chambre froide est faite de plusieurs congélateurs. Il y a souvent plusieurs jeunes qui s’unissent sous un même label afin de partager le coût de la location de la chambre, les frais du courant, les taxes de l’Etat et l’achat des matériels. ©Georges Kisando

Il y a quelques années, plusieurs radios communautaires de Butembo et Beni avaient été dotés d’un kit solaire par la Mission de l’organisation des Nations Unies pour la Stabilisation du Congo (MONUSCO), dans le cadre d’un projet à impact rapide visant à garantir ces médias de l’énergie.   

Une d’elles a reçu un kit solaire d’une valeur d’environ 5000 dollars. Ce kit n’a servi que durant 6 mois en faisant fonctionner l’émetteur de 1000 watts seulement une heure durant le jour, en cas de coupure de courant. Cette même station utilisait 10 dollars de carburant pour 10 heures de fonctionnement sur 24. Aujourd’hui, avec l’énergie ENK, le crédit de 10 dollars suffit pour fonctionner 24 heures durant.  « Nous ne sommes plus obligés de fermer la radio durant certaines heures », nous a confié le directeur de cette radio communautaire. 

Une vieille expérience qui attise l’espoir

La cité de Lubero, chef-lieu du territoire éponyme au sud de la ville de Butembo, a une histoire particulière avec l’énergie hydroélectrique. Il y a près de 3 décennies, une micro-centrale hydroélectrique avait été installée dans cette cité. Son plus grand atout a été son apport dans la lutte contre la maladie de kwashiorkor  dans plusieurs villages des hautes terres de Lubero. 

En effet, grâce à ce courant, une asbl locale a installé un moulin dans cette cité pour moudre les grains de maïs, blé, soja, des cossettes de manioc,… Le mélange de ces farines dans le foufou permet de lutter contre la malnutrition dans la région.  

«Il y avait trop d’enfants qui souffraient du Kwashiorkor. Puisqu’on ne savait rien, madame pilote (sobriquet donné à une dame blanche, Ndlr) nous emmenait des petites boîtes de concentrés que l’on achetait pour aider les enfants. Nous avons commencé à sensibiliser la population à ne pas manger uniquement de la farine de manioc qui n’est pas suffisamment nutritive. Il fallait y ajouter le maïs, le mil, le soja, qui étaient désormais disponibles grâce au moulin. Et tout le monde a compris désormais la valeur de ces produits que l’on produisait, mais qu’on allait vendre en ville seulement », explique madame Jeanne Kati qui fut gestionnaire du moulin alimenté par la centrale. « En mélangeant de la farine de maïs, soja et manioc dans le foufou, le résultat a été le même que les produits qui étaient importés pour lutter contre la malnutrition », se rappelle fièrement madame Jeanne Kati. 

Aussi, avec le courant, le travail des épouses et filles de la maisonnée a été allégé. « On a jeté les tamis, les mortiers et les pilons », se rappelle une dame quinquagénaire qui n’a pas vécu le calvaire des jeunes filles de son époque. 

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 Une dame en train de moudre le mil à Lubero sur une pierre spécialisée utilisée dans la tradition. ©Robert Mwenderwa

Dans la culture du peuple de la région, tous les travaux de ménage reviennent à l’épouse et ses filles. Les jeunes filles, dès 8-9 ans, commencent à réaliser presque en toute indépendance les travaux ménagers moins lourds. Piler le manioc sec dans le mortier, puis tamiser pour en tirer de la farine qui va préparer le foufou du repas vespéral est un travail des jeunes filles au quotidien. Il est facile de piler le manioc, pour le sorgho ou le mil, plus dur; le travail de le moudre se faisait sur une pierre conçue pour ce service. Pour le maïs, oser était une peine perdue, très dur une fois sec et produit en grande quantité saisonnièrement, ce sont les mains qui souffraient. Des ganglions corrosifs poussaient sur les paumes de la main à force de frotter  la main au pilon pour piler. Cela qu’entre en jeu le moulin. Il réalise tout ce travail en quelques minutes.

Nord-Kivu/ Butembo-Beni : Ce que l’énergie hydroélectrique a changé dans l’entreprenariat des jeunes, Partie II

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Un élevage de poulets de chair, prêts à la vente. Après deux mois, ils pèsent entre 3 et 4.5kg. 1 kg revient 4$ ©Georges Kisando

Le popcorn, l’élevage des poulets de chair, la pisciculture, les chambres froides, les ateliers d’ajustage, la couture, la menuiserie, les salons de coiffure, les cabines de charge téléphonique, le téléchargement des films,….autant d’investissements privilégiés des jeunes transformés par l’avènement du courant électrique, mais…  

Le « Popcorn », ça vous parle ? Certainement à beaucoup d’entre vous, oui. Il y a trois ans, dans les villes de Butembo et Beni, mais aussi dans les cités environnantes, le goût de ces maïs sautés n’était pas aussi délicieux qu’aujourd’hui. Car le popcorn était préparé dans une marmite sur le brasero à charbon de bois. L’huile devrait cuire d’abord avant l’ajout de ces variétés spéciales de maïs ainsi que du sel. Et leur éclatement dans la marmite est signe de cuisson.  Mais depuis 2019, il y a eu un grand changement dans la cuisson de cet amuse-gueule très sollicité. Avec la venue de l’énergie hydroélectrique, les habitants utilisent désormais une  machine spécialisée pour faire éclater les grains de maïs et produire du popcorn : une marmite électrique dans une cage vitrée, alimentée d’une bonne quantité d’énergie.

Ghislain Mahese, 23 ans, débout derrière sa machine à Popcorn se réjouit de cette évolution, car il ne travaille plus en perte comme c’était le cas à l’époque de l’énergie du charbon de bois. « Avec la résistance chauffante qui est dans la machine (à Popcorn, ndlr), vous avez besoin d’au moins 1800 Watts pour que la machine puisse démarrer. Les générateurs qu’on utilisait n’en produisaient pas assez. Aujourd’hui, avec nos machines électriques, grâce au courant stable et une touche particulière du cuisinier, la cuisson est parfaite pour une saveur supérieure aux maïs parfois calcinés suite à la non maîtrise de la quantité énergétique du charbon de bois», se réjouit-t-il. 

Kakule Mahamba Cryso, 34 ans, de son côté, a investi  dans une chambre froide pour conserver du poisson frais qu’il importe de l’Afrique australe ou de l’Asie pour revendre à Butembo. Une chambre froide, c’était risqué de la faire fonctionner, il y a peu, à Butembo. Car il s’agit d’un énorme investissement qui consiste en la mise en commun de plusieurs congélateurs qui sollicitent une importante quantité de l’énergie électrique qu’on ne pouvait avoir. Avant, les fournisseurs de poisson frais ne devraient pas se permettre d’importer d’énormes stocks au risque de voir les poissons pourrir dans des congélateurs à la perturbation du courant du groupe électrogène ou encore  à l’épuisement de l’énergie dans les batteries à panneaux solaires suite au mauvais temps. Car, dans cette région située à cheval sur l’équateur, nous sommes moins exposés au soleil, on a rarement 5 à 6 heures de soleil ardent la journée suite aux nuages qui sont visibles en permanence. Ce qui peut ne pas être suffisant pour recharger les batteries des panneaux solaires. 

A l’avènement de l’énergie hydroélectrique, tout a changé, les chambres froides foisonnent dans la ville.

« Le courant est le meilleur. Un générateur peut supporter un congélateur, mais le coût en carburant est exorbitant. Avec du courant, on peut brancher même 10 congélateurs sans problème », se félicite Kakule Mahamba Cryso. 

Aujourd’hui, des poissons importés d’Asie et d’Afrique du sud sont consommés à Butembo à un prix bas que ceux des étangs piscicoles de la région et du lac Édouard situé à près 80 km au Sud-Est de la ville. Aussi, le poulet de chair est devenu un mets ordinaire dans les ménages; alors qu’il y a peu, le poisson frais tout comme le poulet était réservé aux familles nanties. 

A côté des importateurs de poisson, il y a des éleveurs de volailles aussi qui s’en réjouissent. Il y a près d’une dizaine d’années, l’élevage des poulets de chair a fait un sérieux échec en ville de Butembo. Comme aujourd’hui, certains entrepreneurs allaient acheter les poussins à Kampala, la capitale ougandaise. Au bout de deux mois d’investissement dans la nourriture et les soins de ces poulets, il fallait tout vendre. Et quand on ne trouvait pas directement des clients, certains continuaient à les nourrir pendant une semaine ou deux, mais les frais devenaient insupportables pour espérer réaliser une marge de bénéfice. Faute de moyen de conservation,  ils étaient obligés de les revendre à crédit, au prix de revient voire auprès des clients qui, au final, ne payaient pas.  

Grâce à la disponibilité de l’énergie électrique, Kambale K. qui élève des poulets de chair à Kimemi, l’une des communes de Butembo, ne craint plus pour les débouchés de ses volailles. 

«Les poules qui n’ont pas été commandées en temps, nous les vendons aux charcutiers qui les conservent au froid. Pourtant, il y a quelques années, acheter du poulet frais et prêt à la cuisson dans une charcuterie était du pur luxe », se remémore-t-il avec sourire, voyant comment tout peut changer d’un clin d’œil

Pour les éleveurs, l’énergie électrique ne facilite pas que la conservation des viandes destinées à la vente. Elle facilite toute la chaîne de l’élevage. Tenez, il y a peu, certains éleveurs de Butembo et Beni allaient s’approvisionner en poussins à Kampala, la capitale ougandaise. Une fois au pays,  ils peinent à garantir la croissance faute de courant, car ces poussins sollicitent de l’énergie pour leur chauffage. Ce qui est fait aisément aujourd’hui.  

 Kakule Murusi, la trentaine, allie l’élevage des poulets à la pisciculture hors-sol dans sa parcelle déjà transformée en une véritable entreprise au quartier Matanda à Butembo. Cet élevage des clarias a aussi besoin du courant, « Les poissons étant dans des étangs hors-sol, pour maintenir une température uniforme de l’eau, je chauffe ou refroidit l’eau. Pour maintenir la température uniforme, la disponibilité du courant est un avantage par rapport aux panneaux qui peuvent ne pas avoir d’énergie suffisante la nuit. », nous expliquait-il en nous faisant visiter cet élevage, nouveau dans la ville.  

Georges Kitsa tient un atelier de réparation des appareils électroniques à Mutwanga, une cité située à plus de 80 Km au Nord-est de Butembo, dans le territoire de Beni, au pied du mont Rwenzori. Cette cité est alimentée par les centrales Mutwanga I et II.  Pour faire fonctionner son atelier,  Georges Kitsa, 27 ans,  faisait recours aux groupes électrogènes. Ce qui lui causait d’énormes dégâts en termes d’endommagement régulier de ses équipements ou des appareils des clients (téléviseurs, postes radios, téléphones,…), faute d’un courant stable.

« On avait beaucoup de problèmes car avec les groupes électrogènes, il y a des coupures, des chutes ou des montées de tension brusques, qui bousillaient beaucoup des matériels », se rappelle ce technicien qui a frôlé la faillite, car obligé à débourser de ses sous pour acheter les matériels de ses clients endommagés par son courant instable. 

Ce courant de Virunga Energie a déjà fait preuve dans la cité de Mutwanga, où la Société Industrielle Commerciale des Virunga (SICOVIR) a déjà modernisé la production du savon en procurant un emploi direct à une centaine de jeunes. 

Parmi eux, des démobilisés des groupes armés, “La disponibilité de ce courant électrique a permis la mise en place des entreprises dont parmi les employés se trouvent des démobilisés, des jeunes qui oeuvraient dans des milices et qui se sont rendus aux forces loyalistes en choisissant la vie civile”,  témoigne Alfred Ntumba, un journaliste environnemental qui a consacré une série de reportages sur les initiatives autour du Parc National des Virunga. Si, ils sont là confirme Philémon Musavuli, communicateur de ENK, mais “vu la situation sécuritaire, ces anciens miliciens n’aiment pas être identifiés ainsi. Ça renforce le mauvais regard, la ségrégation sociale à leur endroit du moment que des milices continuent à semer l’insécurité dans la région« , précise-t-il.   

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Un atelier d’ajustage métallurgique à Vungi, un quartier de Butembo. ©Hervé Mukulu

Retour à Butembo. Après cinq ans d’études universitaires et n’ayant pas trouvé de débouché en Droit, Issa a quitté Goma pour s’installer dans la principale ville commerciale de la province. Ici, il tient un shop de téléchargement des films et séries télévisées. 

En effet, ils sont nombreux, les ménages qui n’ont pas d’ abonnements à des bouquets télés dans la ville. L’accès facile aux nouveautés des films et séries télévisées, c’est de se rendre dans un shop et de se faire transférer dans son téléphone portable ou sur une clé USB pour moins de 1000 FC (0.5$) la saison d’une série. Ainsi, on pourra les visionner tranquillement le soir à la maison sur le téléphone sans se soucier de l’énergie dans la batterie de stockage de l’énergie solaire. 

Issa tout comme nombreux tenanciers de ces cabines sont obligés de passer parfois des nuits dans leurs shops pour profiter de la bonne connexion qu’il y a la nuit, en vue de télécharger des nouveaux films. 

« Il y a quelques années, j’envoyais un disque dur, par voiture, auprès de mes amis à Goma ; ils y mettaient des nouveautés pour me les renvoyer. L’opération me coûtait environ 100 dollars. Et les clients devraient attendre. Aujourd’hui, une fois sorti, je télécharge le film le soir même et mes clients l’ont au petit matin. Personne ne peut vous dire que le courant ENK n’a rien apporté. », raconte fièrement le prénommé Issa.  

Plus loin au Sud, une autre centrale hydroélectrique est érigée à Matebe dans le Rutshuru depuis 2015 par la Fondation  Virunga Développement. Comme celles de Mutwanga (Beni), la centrale de Matebe (13,9 MW) de Kiwanja à Rutsuru est aussi une initiative visant à garantir de l’énergie aux riverains du Parc National des Virunga en vue de limiter la pression anthropique sur ce joyau patrimoine mondial de l’humanité. Comme dans tout le Kivu, l’agroalimentaire est un secteur d’investissement prisé. Une minoterie a vu le jour : la minoterie artisanale Amaya Food.  

 « Tout est parti de ma vision, que j’avais depuis très longtemps. Je voulais nourrir la population de Rutshuru. J’ai constaté que les gens avaient un grand problème. Ils n’accèdent pas à la farine de maïs de bonne qualité. Tout ce que nous consommons à Rutshuru est importé de l’Ouganda. Autre chose, nos agriculteurs qui produisent du maïs ne trouvaient pas d’unité de transformation sur place. C’est comme ça que j’ai saisi cette opportunité quand j’ai vu que le courant était disponible ici chez nous. J’ai trouvé qu’il est temps de créer cette petite unité de production pour essayer de résoudre le petit problème qui se posait ici chez nous. », a déclaré Trésor Ruviri, au cours d’une interview avec le media en ligne 7su7.cd, au siège de sa société dans le centre de Rutshuru. Amaya Foods Compagny est une petite minoterie qui produit 1,5 tonnes de farine de maïs par jour, soit 60 sacs de 25 kilos. 

Ce levier entrepreneurial qu’est l’énergie hydroélectrique, c’est ce dont rêvent les jeunes du territoire de Lubero avec l’avènement de Zone Economique Spéciale (ZES), un programme du gouvernement congolais visant à créer des industries dans trois foyers (Kinshasa, Kivu et Katanga) pour booster le développement du pays. Pour le Kivu, c’est Musienene, une localité de Lubero, qui a été choisie pour accueillir la ZES.

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   L’allumage des premières ampoules de l’éclairage public de l’énergie Virunga dans la cité de Lubero. ©Robert Mwenderwa

« C’est une  belle opportunité pour tous de pouvoir, non seulement créer des emplois, mais aussi de pouvoir devenir compétitif dans la sous-région et pourquoi pas sur le marché international. Notre région produit beaucoup de café, de cacao, tomate, pomme de terre, sans parler des minerais pour lesquels nous sommes en mesure d’apporter de la valeur ajoutée et les proposer au niveau international dans des meilleures conditions aux meilleurs prix », explique Isse Maliona, responsable de la SOCITEC, la société chargée d’aménager la ZES de Musienene. 

Chercheur en économie de développement, le Professeur Ordinaire Mafikiri Tsongo, Recteur de l’Université Catholique du Graben  (UCG/Butembo) est témoin du rôle que jouent les ZES sous d’autres cieux : « J’ai été à Séoul (Capitale de la Corée du sud, ndlr) plusieurs fois, où j’ai visité ces différentes zones. Il y a des zones, par exemple, de production des ordinateurs, téléphones, des appareils électroniques seulement. Et dans ces zones, les producteurs ne paient rien à l’Etat pendant 10 ans. Et ça encourage beaucoup d’entreprises, par exemple américaines, de venir s’y installer.»   

Et tout le monde sait que la base de toutes ces industries, c’est le courant, renchérit Nzoli Bahati Roger, président de la Fédération des Entreprises du Congo (FEC), section de Lubero, la représentation locale du patronat congolais.

Les aléas du courant

Néanmoins cette énergie n’est pas toujours synonyme de l’abri des risques. Un entrepreneur dans la conservation au frais en a payé le prix fort lors d’une panne électrique à Butembo. « Une camionnette, c’est à peu près 450 cartons de poisson. Un carton de poisson Thomson c’est à peu près 38 mille francs congolais. Ce qui fait à peu près 17 milles dollars. J’ai déchargé avant-hier soir, le lendemain matin, il y a eu une coupure. Les poissons n’avaient pas encore pris froid. C’est une perte énorme et personne pour me dédommager », s’était-il plaint à La Voix de l’UGC lors d’une panne de trois jours qui avait frappé la centrale de la Société Energie du Nord-Kivu (ENK)

L’entreprise ENK, pionnière du courant en ville de Butembo, est consciente de son apport pour booster les Petites et Moyennes Entreprises locales.  

« Le courant est déjà permanent. Le premier impact réel est la baisse du coût de l’énergie, ensuite les gens peuvent travailler la nuit. Les petites entreprises ont un avantage pécuniaire évident, mais aussi sur le temps et le lieu du travail. », se félicite James Vanhoutte, directeur Commercial de ENK qui n’oublie pas non plus l’avantage environnemental de cette énergie. 

A Butembo et Beni, ils sont rares toutefois, les ménages qui recourent à l’énergie hydroélectrique pour cuire  le repas du moment qu’à part le bois de chauffe, le charbon de bois, il existe  aussi le gaz pour la cuisine. 

La société Virunga Alliance affirme sur sa page Facebook, qu’ « utiliser le courant de Virunga Énergie avec le matériel adéquat est plus économique que le charbon de bois, en temps et en argent ».

Néanmoins, pour des personnes qui vivent en dessous du minimum vital par ménage, il faut tenir compte du coût de l’abonnement et de l’équipement, fait remarquer le nommé Nginga, employé dans une entreprise à Butembo. 

« Rien que pour payer un raccordement à 300 dollars, il m’a fallu des mois d’épargne. Quand est-ce que j’ajouterai un équipement de la cuisine ?», se plaint ce jeune qui n’est payé que 100 dollars le mois dans son entreprise

Sur le plan socio-économique, le plus grand avantage reste l’équité du prix, souligne le Chef de travaux Alain Tavulyandanda. « Avec le Cash Power, on consomme selon ses moyens, alors qu’avant, il y avait des prix forfaitaires. Ce nouveau mode de paiement est un sérieux avantage pour les jeunes entrepreneurs », affirme ainsi cet enseignant en Faculté des Sciences économiques de l’UCG. 

Tout de même, beaucoup reste à faire car ENK a compté, en décembre 2021, autour de 10 mille abonnés pour deux villes dépassant 1.5 millions d’habitants. Vu sa production, ce courant n’est distribué qu’aux ménages et petites moyennes entreprises. La distribution reste uniquement dans et aux alentours des quartiers commerciaux des villes de Butembo et Beni; alors que d’habitude, ces petites unités de production sont souvent implantées en dehors des quartiers de résidentiels. Ce dont certains souffrent déjà comme  Kembo Sage, un métallurgiste du quartier Tamende Kati à Beni ; cela risque de lui être même fatal. « La porte métallique que je vendrais aisément à 90 dollars, les ateliers qui ont du courant en ville la revendent à moins de 80. », déplore-t-il voyant qu’il sera bientôt obligé de mettre la clé sous le paillasson si le réseau électrique n’atteint pas vite son quartier. Il utilise encore un générateur à essence pour fonctionner.

  « Ça ne peut s’électrifier en un jour. Il y a du boulot pour les 10 prochaines années, c’est sûr », reconnaît James Vanhoutte, tout confiant de l’évolution des travaux. 

Un reportage de Hervé Mukulu, produit en partenariat avec InfoNile grâce au financement de JRS Biodiversity Foundation édité par Claude Sengenya et Umbo salama ; réalisé avec la contribution  de  Juvénal Bulemo, Georges Kisando, Emmanuel Kateri, Jackson Sivulyamwenge et Robert Mwenderwa. 

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